De la 29e à la 33e étape ou de Marfa (TX) à Atlanta (GA)
- Pierre Nussbaumer
- 6 nov. 2022
- 9 min de lecture

Marfa (TX) – Shafter (TX) – Marfa (TX)
128 km 1h15
Je suis finalement arrivé à Marfa !
Marfa, c’est un des endroits les plus « weird » dans lequel je ne sois jamais allé !
Marfa fut fondée dans les années 1860 comme arrêt « fournisseur d’eau » pour le chemin de fer. Quant au nom, qui signifie « Martha » en russe, il viendrait de Marfa Strogoff, un personnage de Jules Vernes. Comme quoi, la France n’est jamais très loin ! Mais un nom, même d’origine française, ne suffit pas pour faire de Marfa ce que cette ville est devenue aujourd’hui.
L’histoire moderne commence en 1971 quand l’artiste minimaliste Donald Judd décide de quitter New York pour s’installer à Marfa, loin de l’agitation newyorkaise. Il a commencé par louer des maisons de vacances pendant l’été, avant de se décider d’acheter deux grands hangars et de s’établir définitivement avec sa famille. En 1979, avec l’aide de la DIA Foundation (https://www.diaart.org), il achète Fort D. A. Russell qu’il transforme en espaces d’art. Il voulait en faire un musée.
Il est amusant d’imaginer ce que Judd, décédé en 1994, penserait du Marfa aujourd’hui, lui qui a quitté New York pour trouver la tranquillité au fin fond du Texas !
Deux fondations sont maintenant le centre artistique de Marfa, la Chinati Foundation (https://chinati.org) et la Judd Foundation (https://juddfoundation.org), cette dernière se trouvant également à New York.
Ces deux fondations ont finalement attiré des galeries d’art, dont quelques-unes sont même d’origine européenne et le résultat de tout cela est une faune de visiteurs qui sont des « art geeks », donnant une ambiance toute particulière à la ville. Et, malgré toute cette nouvelle activité, la ville ne cesse de se dépeupler : de deux mille habitants environ en 2010, il n’en reste que mille six cents aujourd’hui. Il faut dire que l’attrait de Marfa pour les jeunes n’est pas évident. Et le contraste entre les New-Yorkais, Californiens et autres visiteurs des villes chiques américaines et les locaux est saisissant ! Je suis allé boire une bière dans « le » bar de Marfa, le Planet Marfa : je vous laisse apprécier.


Le Texas profond…

Voilà une petite illustration du côté « artiste » de Marfa… Il s’agit d’un autre bar, plus chic, mais fermé, ou ouvert ?
En me promenant dans la ville, j’ai trouvé quelques beaux bâtiments :


Il y a aussi le stade de football américain avec l’équipe locale des Shorthorns (…). Je ne suis pas sûr qu’ils arrivent encore à constituer une équipe complète de football.

Il y a également les restes de l’époque du chemin de fer




Il faut dire que les trains circulent toujours à travers Marfa et, la nuit, on entend encore leur sifflement si caractéristique. J’ai même vu passer un train de voyageurs, le Sunset Express, qui va de la Nouvelle-Orléans à Los Angeles, en passant par Marfa, où il ne s’arrête pas ! Il met près de cinquante heures pour effectuer le trajet.
Par contre, il y a parfois des supports artistiques qui surprennent

Mais revenons à notre vingt-neuvième étape : Marfa – Shafter et retour. En discutant avec un artiste égaré au Planet Marfa, j’apprends qu’il y a au sud de Marfa une ville fantôme qui mérite le trajet. Je n’hésite pas longtemps et descends à Schafter. Heureusement, une fois de plus les paysages sont beaux parce que Schafter, à part une ou deux voitures abandonnées que je vous épargnerai ne ressemble pas à une ville fantôme, c’est plutôt une ville de misère.
J’ai une remarque finale à faire : je suis allé à Marfa parce que tout le monde m’a dit que c’était l’endroit où il fallait aller. Quand je suis arrivé, j’ai eu le sentiment de m’être fait rouler. Heureusement l’hôtel était plus que décent, ce qui est toujours une bonne base, et, au fil des heures, comme on dit en anglais « Marfa grows on you ». Si l’occasion se représente, je reviendrais.

Marfa (TX) – Austin (TX)
687 km – 6h40
Comme vous le savez, Marfa est au milieu de nulle part et il fallait sortir du milieu de nulle part et, un peu à la même manière dont je suis arrivé à Marfa, « tout le monde » m’a parlé d’Austin, la capitale du Texas, LA ville qui se développe le plus actuellement aux États-Unis, avec l’arrivée de beaucoup de compagnies high tech qui fuient la Californie, État petit à petit insupportable. Il faut aussi dire que la taxation au Texas est nettement plus clémente que celle de la Californie.
Donc, près de sept heures de route pour arriver à Austin. La route ne m’a pas réservé de surprises jusqu’à Fredericksburg, une ville où l’origine allemande de ses habitants ne vous échappe pas, mais qui est, venant de l’ouest, la porte d’entrée du vignoble texan : il y a une winery après l’autre sur une cinquantaine de kilomètres.
En fait, le Texas est un des plus anciens producteurs de vin des États-Unis : on trouve des traces de vignes dans la région d’El Paso (Château Wright… ?) vers les années 1650. Le Texas est le cinquième état le plus important producteur de vin des États-Unis après, dans l’ordre, la Californie (près de quatre-vingts pourcents de la production), Washington, New York (!) et l’Oregon. Les cépages les plus fréquents sont le cabernet-sauvignon, le tempranillo, suivis à quelque distance par le merlot. On n’imagine pas planter du pinot noir au Texas.
J’ai prévu de rester trois jours à Austin : cela faisait preuve d’une ambition culturelle immense ! Je n’ai pas compris l’engouement pour cette ville. Il y a bien une rivière qui la traverse, le Colorado (pas celui du Grand Canyon !), mais cela ne sauve pas la ville. Le pont qui surplombe la rivière et qui abrite de mars à octobre plus de deux millions de chauves-souris non plus. Je n’ai pas trouvé de beaux immeubles, bref il ne me restait plus qu’à prendre du repos sans oublier une visite au Capitole de l’État du Texas (les Texans ont fait en sorte que leur Capitole soit plus haut que celui de Washington DC…). Je vous laisse apprécier.


Voilà pour le Capitole et son jardin (tout petit).
Et, en se promenant, il y a toujours quelque chose à photographier, même à Austin...





Par contre, j’aime particulièrement cette photo…


Austin (TX) – Dallas (TX
314 km – 3h00
Aujourd’hui l’étape n’est pas trop longue et les trois jours hyperactifs que j’ai passés à Austin m’ont donné la force de poursuivre ma route. Je dis cela sur le ton de la boutade, mais la vie de nomade n’est pas de tout repos et les pauses sont souvent bienvenues.
Donc, Dallas, ville familiale, me voilà !
Je débarque au Mansion on Turtle Creek, hôtel où j’ai déjà résidé il y a très, très longtemps, pour le mariage de Michelle et Bernard. Ils ont heureusement fait quelques travaux, mais les avions de Southwest Airlines passent toujours au dessus de l’hôtel pour atterrir à l’aéroport de Dallas Love Field… Bruyant !
Pour respecter la tradition de ville familiale, je sors dîner le premier soir avec Nile, ma filleule : c’est très agréable de passer un dîner à parler avec quelqu’un qu’on connaît !
Le lendemain, sur ses conseils, je pars pour Fort Worth à environ quarante-cinq minutes de Dallas pour aller visiter le Kimbell Museum. Ce musée est constitué de deux pavillons, tous les deux conçus par de grands architectes : Louis I. Khan pour le bâtiment principal et Renzo Piano pour le Piano Pavillon. Ce dernier est particulièrement réussi.

La collection permanente, qui se trouve dans le bâtiment Louis I. Khan, n’est pas très grande, mais la qualité remplace facilement la quantité. Je vous laisse apprécier la qualité :




Vous avez tous reconnu Manet et Goya.
Le portrait de Miro est particulièrement intéressant parce que très beau et qu'il ne correspond pas à ce qu'on attend de Miro. J’avais déjà vu des toiles similaires du Maître à la Fondation Miro de Barcelone.
Le Pavillon Piano sert quant à lui aux expositions temporaires. Il y avait cette fois une exposition de Bartolomé Esteban Murillo, né à Séville en 1615. Je n’ai retenu qu’une toile de cette exposition, non pas que les autres soient de qualité moindre, mais parce que cette toile est exceptionnelle :

Je rappelle que nous sommes au XVIIe siècle !
Le lendemain, journée de farniente, c’est si bon, et dîner avec Bernard dans un restaurant, le Bilboquet, restaurant dans lequel j’ai vu la dernière fois George Bush (très enclin à serrer les mains et à discuter avec les gens).

Dallas (TX) – Natchez (MS)
620 km – 6h10
Il s’agissait vraiment d’une étape de transition vers je ne savais pas très bien où, mais vers l’Est et la côte atlantique.
Dans un premier temps, j’ai pensé à m’arrêter à Alexandria (LA). Quand je suis arrivé dans cette ville, il était encore tôt et l’odeur du Mississippi, le fleuve, m’attirait. J’ai donc décidé de poursuivre jusqu’à Natchez (MS).
À une trentaine de kilomètres de Natchez, c’est arrivé ! je me suis fait arrêter pour excès de vitesse. Et c’est là que c’est devenu intéressant (dans le bon sens). Le policier qui m’arrête est le Chief of Police de Jonesville (LA), une ville d’environ deux mille habitants. Il vient vers moi, je baisse ma fenêtre et là je commence à me faire engueuler : il me demande en fait, avec un accent du Sud très prononcé, de baisser la fenêtre arrière gauche, ce qui se comprends, il veut voir s’il n’y a personne. Le métier ne doit pas être de tout repos, car trois minutes plus tard, une deuxième voiture de police vient en renfort.
La palabre commence ! Et, pour être honnête, c’est la première fois que j’ai dû payer une amende aux États-Unis : je n’ai pas réussi à apprivoiser mon Chief of Police. Il remplit ses papiers, me demande si je conteste, ce que bien sûr je ne fais pas, tout en restant d’une grande courtoisie. Je dois donc le suivre au poste pour déposer un montant, $200 quand même. Et là, je commence à discuter, lui, tout surpris de mon attitude si courtoise. J’explique ce que je fais, où je vais, à Natchez, il me dit que si j’ai quoi que ce soit à Natchez, je dois l’appeler, le Chief of Police local est un de ses amis.
Il me raconte un peu sa vie, il a quatre-vingts ans, a passé trente ans de sa vie dans l’armée et il aime ce qu’il fait. Comme il est vraiment très sympa, je lui offre un de mes stylos Caran d’Ach suisse et, en voyant le regard envieux de la secrétaire, elle en reçoit aussi un. Nous nous sommes quitté les meilleurs amis du monde ! Il veut que l’histoire passe dans le journal local !


Natchez (MS) – Columbus (GA)
755 km – 8h30
J’ai passé la nuit dans un monument historique, le Monmouth Historic Inn : j’étais vraiment dans le Deep South, avec toute la difficulté de compréhension que cela représente. Lors de mon dîner dans le restaurant de l’hôtel, j’assiste à une scène digne D’Autant en emporte le vent :

Tout y est !
Le lendemain matin, je veux quand même voir le Mississippi (la veille, je n’ai pas vu grand-chose, retenu par mon ami Richard Madison, qui a des gènes du Président Madison…).
Le Mississippi est le poumon du centre des États-Unis. Conjugué à son affluent principal, le Missouri, il forme un cours d’eau de six mille deux cent soixante-quinze kilomètres, soit le quatrième plus long cours d’eau du monde, après l’Amazone, le Nil et le Yangtze. Il sépare deux parties des États-Unis vraiment distinctes : l’Est du Mississippi et l’Ouest. En lisant Faulkner, né à New Albany dans le Mississippi, j’ai toujours eu l’impression de sentir l’odeur du fleuve et, lorsque je me suis égaré au nord de Natchez, j’ai senti exactement ce que je pensais.



C’est bien un casino, et il n’est pas tenu par les Natives Americans, mais par des Indiens d’Inde !
En consultant Google Map, je vois une « attraction » que je décide d’aller voir : le Wooden Bridge of Death. Cela ne s’invente pas. En suivant Google Map à la lettre, passant par des routes non goudronnées, je finis par arriver à mon pont : je vous laisse juger !

Je n’ai pas osé le franchir…
Ma virée dans des contrées vraiment reculées m’a cependant permis de découvrir comment une partie de l’Amérique vit.



Manifestement, il doit arriver au Mississippi de déborder !
Et, comme nous sommes dans le Bible Belt, même loin de tout, il y a une église !

Après cette escape, je reprends le droit chemin et, de plus en plus attiré par l’Atlantique, je roule, je roule, reportant mon arrêt chaque fois, pour arriver finalement à Columbus (GA).
Une longue étape.

Colombus (GA) – Atlanta (GA)
179 km – 1h50
Une étape vers un Four Seasons, chaîne qui me permet de faire ce que j’appelle « mes rétablissements » : lessive, internet qui fonctionne, salle de bain décente, restaurant accueillant.
Juste un mot sur Columbus : la ville ne vit que par une chose : la base militaire de l’US Army, Fort Bennings, base qui est la plus grande de l’Army sur sol américain. Le Manager de l’hôtel où je suis descendu m’a expliqué que l’hôtel fonctionnait avec les parents qui venaient à Columbus pour les cérémonies de promotions et avec les consultants qui venaient travailler sur la base.
C’est finalement assez peu captivant.
Pour votre information, le trajet couvert par ce post est de deux mille six cents quatre-vingt-trois kilomètres !
PN/05.11.2022
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